Nous pensons que la crise du politique en France, vécue depuis
plusieurs années, est le fait d’un double manquement à l’intérêt
général et au bien commun :
- la non-représentativité et/ou la non-représentation des
habitants du pays France de la part de leurs représentants au Parlement
et au Gouvernement. Les élus et les technocrates dont ils sont flanqués
ne représentent le plus souvent pas la majorité de la société civile du
pays, ni en termes d’identité ni en terme politique, puisqu’ils
représentent souvent des intérêts privés.
- la non-représentation des habitants dans les médias
dominants et en particulier, au sein du plus important des mass-media,
la télévision, tant publique que privée. La majorité de la société
civile est le plus souvent absente des représentations proposées à la
télévision, excepté dans les formes cinématographiques qui y sont
proposées, le film de fiction et le documentaire. Et, quand elle y
figure, c’est individuellement et/ou comme élément d’un dispositif de
divertissement (le public dans une émission de variété) et, parfois,
dans les dispositifs d’information du type journal télévisé, comme
témoin éphémère au mieux, comme figurant d’un discours journalistique
ou enjeu de communication le plus souvent.
Titre de l’atelier : “SAISIR/CONSTRUIRE LE REEL“
atelier de réalisation d’actualités locales ou non-locales d’ici et
d’ailleurs pour Jeunes Reporteurs d’Images.
Objectifs de l’atelier :
1) Réaliser 2 ou 3 films de 10 min maxi chacun, sur ou à partir de
l’actualité. Expression libre à partir du présupposé connu : des formes
en usage - reportage, news, clips, fiction – pour aller vers le
présupposé inconnu : les différentes formes documentées du cinéma.
2) Permettre aux habitants de se confronter par eux-mêmes à
ce que peut être la fabrication d’une représentation : comment on la
constitue, à partir de quoi (le réel, le factuel, les représentations
antérieures, etc.), comment on la partage et qu’est ce qu’on partage
3) Offrir un réel contrechamp à l’actualité télévisuelle, proposant une autre façon de voir, de faire, et de montrer.
4) Concilier une approche empirique (découlant d’un ancrage sur
la ville) et une approche formelle, différente de la forme télévisuelle
plus à même de proposer une construction du réel qui soit plus juste
que les formes majoritaires en circulation.
5) Promouvoir l'expérimentation et l'innovation culturelle, le
décloisonnement des cultures et des quartiers, l’échange
transgénérationnel et transculturel.
6) Diffuser les films réalisés à un public plus large,
notamment dans les salles de cinéma art et essai du département de la
Seine-Saint-Denis et promouvoir ainsi les débats et les échanges
publics.
Descriptif : Nous pensons que la crise du politique en
France, vécue depuis plusieurs années, est le fait d’un double
manquement à l’intérêt général et au bien commun :
- la non-représentativité et/ou la non-représentation des
habitants du pays France de la part de leurs représentants au Parlement
et au Gouvernement. Les élus et les technocrates dont ils sont flanqués
ne représentent le plus souvent pas la majorité de la société civile du
pays, ni en termes d’identité ni en terme politique, puisqu’ils
représentent souvent des intérêts privés.
- la non-représentation des habitants dans les médias
dominants et en particulier, au sein du plus important des mass-media,
la télévision, tant publique que privée. La majorité de la société
civile est le plus souvent absente des représentations proposées à la
télévision, excepté dans les formes cinématographiques qui y sont
proposées, le film de fiction et le documentaire. Et, quand elle y
figure, c’est individuellement et/ou comme élément d’un dispositif de
divertissement (le public dans une émission de variété) et, parfois,
dans les dispositifs d’information du type journal télévisé, comme
témoin éphémère au mieux, comme figurant d’un discours journalistique
ou enjeu de communication le plus souvent. C’est-à-dire que cette crise
de la représentation est une crise profonde de la démocratie. Et là, il
est tentant de se référer à Jacques Rancière dont l’ensemble des
travaux nous guide vers une approche différente de celle que nous
connaissons au quotidien.
Extrait d’un entretien publié en décembre 2005 à l’occasion de
l’édition de ces deux derniers ouvrages " La haine de la démocratie "
et " Chroniques des temps consensuels "
"- Qu'est ce pour vous la démocratie ?
- La démocratie n'est ni la forme du gouvernement représentatif ni
le type de société fondé sur le libre marché capitaliste. Il faut
rendre à ce mot sa puissance de scandale. Il a d'abord été une insulte
: la démocratie, pour ceux qui ne la supportent pas, est le
gouvernement de la canaille, de la multitude, de ceux qui n'ont pas de
titres à gouverner. Pour eux, la nature veut que le gouvernement
revienne à ceux qui ont des titres à gouverner: détenteurs de la
richesse, garants du rapport à la divinité, grandes familles, savants
et experts. Mais pour qu'il y ait communauté politique, il faut que ces
supériorités concurrentes soient ramenées à un niveau d'égalité
première entre les "compétents" et les "incompétents". En ce sens, la
démocratie n'est pas une forme particulière de gouvernement, mais le
fondement de la politique elle-même, qui renvoie toute domination à son
illégitimité première. Et son exercice déborde nécessairement les
formes institutionnelles de la représentation du peuple.
- Vous placez l'égalité au fondement de la démocratie, pourquoi ?
- L'égalité n'est pas un but à atteindre, au sens d'un statut
économique ou d'un mode de vie semblable pour tous. Elle est une
présupposition de la politique. La démocratie est le pouvoir de
n'importe qui, la contingence de toute domination. Ce n'est pas l'idée
que le pouvoir doit travailler pour le bien du plus grand nombre mais
celle que le plus grand nombre a vocation à s'occuper des affaires
communes. L'égalité fondamentale concerne d'abord la capacité de
n'importe qui à discuter des affaires de la communauté et à les mettre
en oeuvre."
Or, notre expérience humaine et notre expérience de réalisateur de
films comme de citoyen nous confirment que les gens sont capables de
produire eux-mêmes des informations complètes sur leurs propres
activités ou d’élaborer des points de vue originaux et collectifs sur
la vie de la cité.
Comme beaucoup, nous sommes choqués par le traitement quotidien de la
vie sociale par les mass-media, et tout particulièrement, il y a déjà
longtemps par celui des grandes grèves de 1995 (qui ont donné naissance
à nombre de médias alternatifs) ou, ces dernières années, par celui du
référendum sur le traité constitutionnel ou l’effervescence de la
jeunesse des banlieues…
(entretien avec Jacques Rancière, suite)
"
- Que vous inspire la révolte des banlieues ?
- C'est un autre effet du mépris dans lequel est tenue la capacité
du plus grand nombre. Il ne s'agit pas d'intégrer des gens qui, pour la
plupart, sont Français mais de faire qu'ils soient traités en égaux. Le
problème n'est pas de savoir si des gens sont mal traités ou mal dans
leur peau. Il est de savoir s'ils sont comptés comme sujets politiques,
doués d'une parole commune. Et le sens de la révolte est aussi lié à
leur propre capacité à se considérer comme tels. Apparemment ce
mouvement de révolte n'a pas trouvé une forme politique, telle que je
l'entends, de constitution d'une scène d'interlocution reconnaissant
l'ennemi comme faisant partie de la même communauté que vous. La
réaction à une situation d'inégalité est une chose. L'égalité, elle, se
manifeste politiquement quand les exclus se déclarent comme inclus dans
leur manière même de dénoncer l'exclusion. Pour sortir d'un schéma
médical de traitement expert des symptômes, il faut que se dégage une
forme de subjectivation, traversant toutes les médiations culturelles,
sociales, religieuses pour de venir la parole d'un "nous" qui
construise une scène matérielle où la parole se fait acte.
- Disciple d'Althusser, vous avez été marxiste, comment en êtes vous revenu ?
- Il ne s'agit pas de revenir mais d'avancer. Mai 68 a mis en déroute
le schéma intellectuel althussérién qui voulait apporter la science aux
masses. A partir de là, j'ai étudié l'histoire de l'émancipation
ouvrière et j'ai compris que ce n'avait jamais été une affaire de prise
de conscience d'une exploitation ignorée. A la racine de l'action
émancipatrice, il y avait la volonté de mettre en oeuvre une égalité
immédiate. Ils voulaient se constituer, dès maintenant, un corps, une
manière de vivre, de penser, de parler qui ne soit pas celle assignée à
l'ouvrier en fonction de sa naissance et de sa destination. A partir de
là j'ai dégagé l'idée d'une dimension esthétique de la politique qui
est une structuration des données sensibles elles-mêmes avant d'être
une affaire de pouvoir et de lois : le partage du sensible. La
politique institue un autre temps et d'autres vitesses, donne de la
visibilité à des choses qui n'en avaient pas et ouvre une scène commune
où des gens que l'on considérait jusqu'alors comme bons seulement à
travailler se montrent capables de parler et d'agir ensemble. La notion
même d'esthétique implique une forme d'expérience partagée par
n'importe qui, autant dire une pensée du destinataire anonyme, une
sorte de pouvoir affirmé de l'anonyme dans le monde de l'art,
correspondant en dernière instance au pouvoir de l'anonyme qui est au
fondement du politique. D'ailleurs, c'est dans le même mouvement
qu'apparaît, à la fin du XVIIIe siècle, une articulation contradictoire
entre l'égalité comme fondement de la politique et cette forme
spécifique d'égalité, de suspension de hiérarchies dans l'art, qui fait
appel à une communauté partagée par n'importe qui."
C’est
exactement ce pourquoi nous avons créé ce Centre Média Local à
Saint-Denis, où il est question de fabriquer ces actualités
"démocratiques". Et c’est là aussi exactement comment nous abordons
l’appropriation des outils audiovisuels et du cinéma par les habitants.
Reconstituer
une communauté égalitaire par un partage du sensible grâce au partage
de quelques moyens de vision (et aussi de visée), d’abord, qui sont
aussi des moyens d’expression. Avant d’exprimer ce qu’on voit, en
effet, encore faut-il avoir la capacité de regarder. Et les outils
audiovisuels sont là pour ça, la caméra, construite sur le modèle de la
camera oscura de Léonard de Vinci (permettant la vision en perspective,
c’est-à-dire en profondeur, avec des avant-plans, des arrière-plans… et
définissant un cadre, lequel découpe dans la réalité perçue ce qu’on
regarde plus attentivement et ce qu’on désire montrer ) et aujourd’hui
le logiciel de montage (qui permet l’organisation des plans,
c’est-à-dire de la représentation du monde qu’on veut construire et
montrer).
L’actualité
que nous produisons est une information se dégageant d’elle-même de la
rencontre filmée avec une situation et les personnages qui la vivent.
Elle s’inspire du cinéma direct et se fonde sur la relation créée par
le(les) filmeurs avec la(les) " chose(s) " filmée(s). La vidéo légère
permet une approche souple et sensible d ’une situation donnée et des
personnes qui la vivent. L’utilisation de l’écran de contrôle autorise
une part de recul et la possibilité " d’embrasser " la situation dans
sa globalité, pourvu qu’on ait auparavant préparé et documenté son
approche.
C’est ensuite au montage que la documentation et le
recul temporel et matériel vis-à-vis du matériau enregistré permettent
une construction savante et réfléchie, mais toujours à partir d’un
matériau vif et sensible. Ensuite, le recul et la contextualisation du
phénomène décrit peuvent prendre différentes formes, du simple carton
d’information au commentaire très écrit, ou à l’usage d’images et de
sons d’origines diverses en juxtaposition, tout est acceptable du
moment qu’il y a présentes ces deux phases complémentaires, la saisie
vivante du réel dans son déroulement à la prise de vue, la construction
d’un regard savant et personnalisé au montage.
On pourra ainsi s’appuyer tant sur le travail de Frédérick Wiseman
ou en France, Raymond Depardon, pour ce qui est du cinéma direct, que
sur celui de Chris Marker, pour ce qui est du regard à distance porté
par un commentaire (Le Fond de l’air est rouge ou Sans soleil).
Dans nos actualités, pas question de rendre compte de la
complexité et de la totalité d’un phénomène social ou culturel d’ordre
général. Une actualité, dans le temps réduit de 5 à 10 minutes, ne peut
qu’être partielle, l’enjeu est alors de la compléter avec une autre,
puis une autre et une autre encore, de proche en proche.
Cela veut
dire travailler dans l’hypothèse de la série se déployant à partir d’un
fait brut rencontré sur son chemin. Cette formule a l’avantage
d’obliger à suivre l’évolution d’une situation ou d’un phénomène, dans
le temps et dans ses divers aspects. Cette hypothèse de la série
rendant compte de différentes facettes d’un même phénomène ou de
l’évolution dans le temps et l’espace d’une même situation est la
nôtre. Ce ne sera pas nécessairement celle choisie par les stagiaires
auxquels nous présenterons diverses possibilités narratives et
temporelles.
En tout cas, plus question du bombardement d’images et de
catastrophes du journal télévisé traditionnel, du 13h ou du 20h. Il
s’agit de rencontrer ses contemporains dans leur vécu et leur prise de
conscience, de les accompagner dans leurs soubresauts et
rebondissements mentaux et physiques pour accéder à une autre réalité,
et, ce faisant, de cheminer soi-même, dans son corps et sa pensée.
Cette
image à facettes a l’avantage de présenter (c.a.d rendre présent) un
monde en construction bien plus qu’en destruction, s’appuyant sur un
passé défini mais intégrant comme une figure du possible un futur en
mutation sur lequel les humains ont prise, bel et bien.
Le choix de la fabrication par des jeunes qui habitent la ville
et participant à sa vie au quotidien, ainsi que l’opportunité de la
diffusion de telles séries d’actualités dans les salles de cinéma
publiques du département de Seine-Saint-Denis crée alors les conditions
de la circulation d’une information réellement en prise sur le terrain
et sur l’action, à long terme, et éduque les habitants de
Seine-Saint-Denis à regarder leur environnement et leurs semblables
dans une nouvelle perspective, prenant en compte la question de
l’espace-temps, dans sa dimension nécessaire à toute vie, la durée et
dans l’hypothèse primordiale de l’évolution et de la transformation (de
soi comme des autres) .
La diffusion en salles permet aussi de déplacer le regard sur
l’information, en la dégageant de l’impératif du flux propre à la
télévision dominante, et la replaçant dans le dispositif du cinéma,
c’est-à-dire du partage avec une communauté spécifique et anonyme, et
pourtant affinitaire (le fait d’être venu ensemble voir le même film au
même endroit). L’information retrouve alors la magie d’un écran sur
lequel des formes sont projetées et regardées collectivement dans la
complicité du noir, propre à faire jaillir nos rêves ou notre
imaginaire.
Articulation pédagogique et méthodologique : Nos
ateliers visent à ce que nous appelons la formation/production :
apprendre dans une situation réelle de production, en lien avec la vie
locale, et fabriquer un objet dégagé des modèles observés
habituellement, que nous accompagnons de bout en bout, afin de réaliser
un produit commun satisfaisant et de gagner en autonomie individuelle.
La participation à l’atelier “Saisir/Construire le Réel“ permettra à la
fois de réfléchir aux modalités, aux contraintes et aux conventions de
l’actualité médiatique contemporaine, de lui envisager de réelles
alternatives du côté du cinéma, de disposer d’un matériel performant
permettant le tournage et le montage de ces films, et de réaliser ces
petits espaces de liberté où une voix singulière (individuelle ou
collective) trouverait à s’incarner.
Pour le cas des actualités d’ici, ce travail se fait en contact
direct avec le territoire habité ou pratiqué, sur des sujets actuels et
vivants, ce qui permet de trouver collectivement des pistes de
résolution, de solidarité, de liens, et prouve, y compris à eux-mêmes,
la capacité à voir, à faire, à penser des habitants du territoire. Cela
peut à terme contribuer à produire une meilleure image de ce territoire
et de ces habitants et surtout à le dynamiser positivement, en termes
sociaux et culturels.
Pour celui des actualités d’ailleurs ou plus globales, cela se
fait par une approche documentée approfondie (presse, audiovisuel et
cinéma, internet) et une réflexion individuelle ou collective partagée
avec le groupe suivies d’une écriture spécifique.
En termes de méthode, cela signifie une alternance entre critique
et empirisme, apprentissage et fabrication : d’une part analyse des
médias et de films, d’autre part, une pratique à la mesure des moyens
mis en œuvre, mais intensive et productive. Cela signifie aussi que le
formateur, plus qu’un professeur, doit être un accompagnateur et un
révélateur, un révélateur de possibles.
Programme : L’éventail de ces outils et techniques, à
la fois théoriques et pratiques, tend à développer chez le fabricant
des actualités la capacité à produire une information autonome sur une
situation donnée, à saisir en direct la substance d’un phénomène
singulier, dans une économie de moyens (une unité de tournage, un ou
deux opérateurs) sans adjonction de voix off ou commentaire superflus :
- Exercices de prise de vues et prise de sons répétés (comment
saisir en un plan fixe une situation donnée, utilité et sens d’un
mouvement d’appareil, construction d’un film en dix à quinze plans
maximum, …)
- Visionnage et analyse d’actualités d’antan et d’aujourd’hui, de films amateurs et
professionnels, ayant un rapport direct avec le travail en cours (cinéma direct et documentaires très écrits).
- Rappel théorique de la fabrication d’une information (notions de
déontologie de l’information, approche mentale d’une situation,
techniques de documentation préalable sur un sujet à traiter, notions
d’empathie et de distance, notions de point de vue documenté, …)
- Approche de l’interview en situation, recueil de témoignages, la relation filmeur/filmé
- Approche théorique et pratique du montage expressif (syntaxe des raccords, notions de rythme, dramaturgie, …)
- Préparation, écriture et réalisation de courts-métrages d’actualités, gestion de la
production
- Mise en pratique de l'acte de programmation.
Centre média local de Seine-Saint-Denis (Riv'Nord et Rapsode)
Centre des Bateaux-Lavoirs, 1 quai du Square 93200 St-Denis
tél. 01 42 43 00 45
rivnord@free.fr
http://rivnord.viabloga.com
http://rapsode.free.fr
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Centre média local de Seine-Saint-Denis (Riv'Nord et Rapsode): atelier "Actualités filmées"Réunion d'information vendredi 8 décembre à 17h30 |